Maya Graf dans son coin préféré. Cette forêt mixte de hêtres appartient à l’entreprise familiale.

Les fonda­ti­ons mettent en avant des alternatives

Agir pour la prochaine génération

La conseil­lère aux États Maya Graf (BL/Verts), qui s’engage au sein de fonda­ti­ons envi­ron­ne­men­ta­les, a un regard pointu sur l’avancement actuel des travaux. Elle siège au conseil de fonda­tion de Pro Specie Rara, de la Fonda­tion suisse de la Greina et de Biovi­sion. 

Quel­les sont les chan­ces des fonda­ti­ons et quelle responsa­bi­lité portent-elles dans le domaine environnemental?

Maya Graf: Les fonda­ti­ons apportent une contri­bu­tion de taille à l’évolution de la société en Suisse. Elles mettent en avant d’importantes préoc­cu­pa­ti­ons, prom­eu­vent et souti­en­nent des initia­ti­ves et des projets cari­ta­tifs, notam­ment dans le domaine envi­ron­ne­men­tal. Inté­g­rées au paysage cultu­rel suisse, elles mont­rent combien de person­nes s’engagent person­nel­le­ment en faveur de tel ou tel projet. Leur grand nombre suffit à le démontrer. 

Comment cela s’explique-t-il?

MG: D’un côté, bien des person­nes en Suisse ont beau­coup d’argent et souhai­tent l’utiliser pour soute­nir une bonne cause. D’un autre côté, nous avons un système de milice et une vie sociale très active. C’est vrai­ment unique, a fortiori en compa­rai­son avec d’autres pays. 

Et à quel moment la poli­tique entre-t-elle en jeu?

MG: Pour moi, la poli­tique regroupe tout ce qui façonne, orga­nise et fait évoluer la société. Elle pose les condi­ti­ons-cadres d’un bon vivre-ensem­ble. Pour aujourd’hui et pour demain. Au sens strict, ce sont les person­nes poli­ti­ques élues démo­cra­ti­quement qui sont respons­ables des règles et de leur appli­ca­tion, toujours pour le compte de la popu­la­tion. Les fonda­ti­ons ont elles aussi cette obli­ga­tion envers la société et veulent contri­buer à son bien-être. Les fonda­ti­ons et les asso­cia­ti­ons ont une importance capi­tale en Suisse. Je pense qu’aucun pays ne compte autant d’associations. Nous acqué­rons nos connais­sances démo­cra­ti­ques prati­ques dans n’importe quelle asso­cia­tion. Chaque jeune apprend à l’assemblée géné­rale de son club de gym comment se passent les élec­tions et les votes et comment se déroule le proces­sus démo­cra­tique. Cela se passe diffé­rem­ment pour les fondations.

Pour­quoi?

MG: Elles se contrô­lent elles-mêmes sur le plan interne, pour ainsi dire, et le légis­la­teur les contrôle égale­ment quant au respect de leur objec­tif à travers la surveil­lance fédé­rale. Le conseil de fonda­tion élit lui-même ses nouveaux membres. Il n’y a pas d’assemblée géné­rale qui puisse soumettre des propo­si­ti­ons, propo­ser des candi­dats ou exer­cer un contrôle financier.

Vous êtes critique à cet égard?

MG: Les fonda­ti­ons ont un statut parti­cu­lier parce qu’elles sont tenues uniquement de respec­ter l’objectif de la fonda­tion. Mais leurs missi­ons sont elles aussi parti­cu­liè­res. Leur action est phil­an­thro­pi­que, elles sont respons­ables vis-à-vis de la société. Mais les décis­i­ons sont prises par une seule personne ou un groupe de person­nes. La ques­tion se pose alors de savoir comment les fonda­ti­ons peuvent deve­nir un peu plus démo­cra­ti­ques, plus trans­pa­ren­tes. Nombreu­ses sont celles qui n’affichent pas leur porte­feuille clai­re­ment. Elles ne sont pas non plus obli­gées de divul­guer leurs comp­tes annu­els, par exemple. Ces ques­ti­ons se pose­ront à l’avenir. Les sommes d’argent immo­bi­li­sées dans les fonda­ti­ons sont très importantes.

100 milli­ards de francs suis­ses, tendance en augmentation.

MG: Tout à fait. C’est la raison pour laquelle elles jouent un rôle important et ont toujours eu des missi­ons signi­fi­ca­ti­ves. Suivant le but de la fonda­tion considé­rée, celles-ci ont aussi la possi­bi­lité de soute­nir des initia­ti­ves poli­ti­ques. Chez Pro Specie Rara, nous nous impli­quons par exemple pour la conser­va­tion de plan­tes culti­vées et de races anima­les d’élevage anci­en­nes afin de préser­ver cette diver­sité géné­tique et histo­ri­que pour les géné­ra­ti­ons futures. Des semen­ces variées acces­si­bles à tous consti­tu­ent la base de notre alimen­ta­tion. Cette mission est essen­ti­elle pour notre société et pour l’avenir. L’État ne peut s’en charger.

Le conseil­ler aux États Ruedi Noser met en ques­tion l’engagement poli­tique des orga­ni­sa­ti­ons exoné­rées d’impôts à travers une motion. Quelle est votre posi­tion à ce sujet?

MG: Nous devons montrer combien les orga­nis­mes de bien­faisance sont essentiels pour faire progresser la Suisse et son déve­lo­p­pe­ment dura­ble. Nous avons une écono­mie puis­sante et riche. Elle peut comp­ter sur des moyens considé­ra­bles lors d’une campa­gne de vota­tion. Il faut un équi­libre. Ces orga­nis­mes de bien­faisance veulent s’impliquer en faveur de préoc­cu­pa­ti­ons majeu­res de la société et de son avenir et mettent égale­ment de l’argent à dispo­si­tion. Où est le problème? C’est éton­nant et peu démo­cra­tique de cher­cher à empê­cher cela. 

Quel­les sont vos attentes?

MG: Il ne faut pas que nous nous compor­ti­ons de manière défen­sive. La popu­la­tion souti­ent les fonda­ti­ons et les orga­ni­sa­ti­ons. De nombreu­ses person­nes préfè­rent s’impliquer direc­te­ment pour une cause au sein de fonda­ti­ons et d’ONG plutôt qu’en poli­tique. Les fonda­ti­ons opéra­ti­on­nel­les ont elles aussi souvent des sections qui sont acti­ves jusque dans les vallées suis­ses les plus reculées et qui susci­tent l’enthousiasme en faveur d’une initia­tive. En ce qui concerne l’initiative sur les multi­na­tio­na­les respons­ables, les grou­pes régi­on­aux étai­ent actifs depuis des années et se sont battus jusqu’au bout. Cette courte défaite dans les urnes a eu un goût amer pour tous les béné­vo­les qui s’étaient enga­gés sur place. C’est malgré tout posi­tif de voir que notre démo­cra­tie est vivante. 

«Il faut renforcer dura­blem­ent le niveau local»
Maya Graf, conseil­lère aux États, Bâle-Campagne

Photo: Kostas Maros

Deux initia­ti­ves exigeant le renon­ce­ment aux pesti­ci­des de synthèse vont être soumi­ses au vote. Biovi­sion a pris clai­re­ment position.

MG: La popu­la­tion fait pres­sion par l’intermédiaire de ces deux initia­ti­ves afin que la poli­tique se mobi­lise et que la problé­ma­tique des pesti­ci­des et de leur impact sur l’homme, les animaux et l’environnement soit enfin abor­dée de manière systé­ma­tique. Il est tout aussi important pour notre avenir, notre climat et les fonde­ments de notre exis­tence de voter oui à la loi sur le CO2 le 13 juin 2021. Il faut que nous mett­i­ons en œuvre le plus rapi­de­ment possi­ble l’accord de Paris sur le climat au moyen de mesu­res adéqua­tes. La crise clima­tique n’attend pas, elle est déjà là et nous place devant d’immenses défis, nous et surtout les géné­ra­ti­ons à venir. Là aussi, il faut agir ensem­ble à tous les niveaux. 

Comment en êtes-vous venue à vous enga­ger chez Biovision?

MG: Il y a 20 ans, quand je suis deve­nue parle­men­taire, je suis égale­ment deve­nue prési­dente du Groupe suisse de travail sur le génie géné­tique (SAG). La ques­tion de savoir comment régle­men­ter l’utilisation des plan­tes culti­vées géné­ti­quement modi­fiées afin d’éliminer les risques pour notre agri­cul­ture et notre secteur agro­ali­men­taire domi­nait à l’époque. La loi sur le génie géné­tique a été élabo­rée et nous avons exigé un mora­toire pour leur commer­cia­li­sa­tion. Nous avons réussi à construire une alli­ance effi­cace au sein du SAG et à impo­ser un mora­toire sur le génie géné­tique avec toutes les orga­ni­sa­ti­ons de paysans, de consom­ma­teurs et de déve­lo­p­pe­ment, avec les asso­cia­ti­ons de défense de l’environnement et l’initiative pour une agri­cul­ture sans génie géné­tique. Ce mora­toire court jusqu’à aujourd’hui. En 2008, j’ai rencon­tré Hans Rudolf Herren, le célèbre ento­mo­lo­giste, lauréat du prix Nobel alter­na­tif et fonda­teur de Biovi­son, lors d’une confé­rence euro­pé­enne sur une agri­cul­ture sans génie géné­tique. Très enthousi­aste, il a raconté comment il venait de termi­ner de co-rédi­ger le volu­mi­neux rapport mondial sur l’agriculture de l’ONU et de la Banque mondiale et que de premiers États l’avaient signé. 400 scien­ti­fi­ques issus essen­ti­el­le­ment des pays du Sud ont fait un inven­taire de l’agriculture mondiale et proposé des mesu­res visant à effec­tuer un virage agro-écologique.

Quels ont été les résultats?

MG: Le rapport a conclu que l’agriculture indus­tri­elle menait à une impasse. Elle n’est en aucun cas adap­tée aux plus de 500 milli­ons de peti­tes explo­ita­ti­ons agri­co­les présen­tes dans le monde aujourd’hui. Or, ces derniè­res produi­sent 70 pour cent de l’ensemble des denrées alimen­tai­res. Au Nord, l’agriculture indus­tri­elle génère des excé­dents et détruit les sols et l’environnement. Le rapport exige un déve­lo­p­pe­ment écolo­gi­que dans l’agriculture et de nombreu­ses inno­va­tions sur place. En d’autres termes, il faut permettre aux famil­les d’agriculteurs de se former davan­tage et de dispo­ser de moyens tech­no­lo­gi­ques, renforcer le statut des agri­cultri­ces, mettre à dispo­si­tion des semen­ces loca­les acces­si­bles à tous, favo­ri­ser les cultures mixtes et respec­ter le savoir tradi­ti­onnel. Il faut renforcer dura­blem­ent le niveau local. En fond­ant Biovi­sion il y a 30 ans, Hans Rudolf Herren a déjà prati­qué effi­ca­ce­ment cette appro­che agro-écolo­gi­que. C’est précis­é­ment cette appro­che que j’ai voulu amener en Suisse dans notre poli­tique alimen­taire et agri­cole. J’ai réussi par le biais d’interventions parle­men­tai­res à ce que la Suisse intègre cette notion à sa poli­tique agri­cole. Et je peux désor­mais contin­uer à travail­ler dans ce sens en tant que membre du conseil de fonda­tion de Biovision.

Comment les fonda­ti­ons peuvent-elles s’impliquer dans la poli­tique et la société?

MG: L’exemple de la Fonda­tion suisse de la Greina permet de mettre en évidence l’action que peut avoir une fonda­tion. Créée en 1986, son action a été et est toujours couron­née de succès sur le plan poli­tique. Son objec­tif est de proté­ger tout le haut plateau de la Greina et de conser­ver des paysa­ges natu­rels et des cours d’eau alpins. Ce dernier point, notam­ment, est indis­so­cia­ble de la poli­tique éner­gé­tique et de la ques­tion de savoir dans quelle mesure nous inves­tis­sons dans quel­les éner­gies renou­vel­ables afin que l’environnement ne soit pas affecté. Le déve­lo­p­pe­ment de l’énergie hydrau­li­que, par exemple, ne doit pas se faire au détri­ment des derniers cours d’eau ou paysa­ges natu­rels. Nous n’avons pas le droit de détruire ces merveil­les. Nous devons donc propo­ser des solu­ti­ons alter­na­ti­ves. C’est exac­te­ment ce que fait la Fonda­tion suisse de la Greina en promou­vant l’énergie solaire et les bâti­ments à éner­gie posi­tive. En se foca­li­sant sur son objec­tif, elle est deve­nue une importante fonda­tion et a contri­bué à faire progresser la tran­si­tion énergétique. 

Comment y est-elle parvenue?

MG: Essen­ti­el­le­ment via un lobby­ing actif, de nombreux cont­acts et un grand enga­ge­ment person­nel. Son direc­teur, Gallus Cadonau, est depuis de nombreu­ses années une person­na­lité au Palais fédé­ral. À peine étais-je arri­vée comme nouvelle conseil­lère natio­nale qu’il m’a demandé si je voulais m’impliquer au sein du conseil de fonda­tion. Gallus Cadonau a un savoir-faire incroya­ble et connaît parfai­te­ment le vaste et complexe domaine de l’énergie. Il montre comment les fonda­ti­ons peuvent agir pour avoir une action crédi­ble et dura­ble sur la politique. 

Les fonda­ti­ons envi­ron­ne­men­ta­les connais­sent-elles actu­el­le­ment un essor? Reçoi­vent-elles davan­tage de dons? Le thème du chan­ge­ment clima­tique est en tout cas omniprésent.

MG: Pour Biovi­sion, je peux l’affirmer sans conteste. Hans Rudolf Herren a créé Biovi­sion comme asso­cia­tion à but non lucra­tif. La prio­rité était donnée à l’époque à des projets agro-écolo­gi­ques en Afri­que orien­tale. En 2004, l’association est deve­nue une fonda­tion. Ces derniè­res années, la fonda­tion s’est dotée d’une seconde orien­ta­tion en se cons­a­crant au déve­lo­p­pe­ment dura­ble en Suisse. Elle en a pris la responsa­bi­lité auprès de «Plate­forme Agenda 2030», contri­buant ainsi à mettre en œuvre les objec­tifs pour l’environnement de l’ONU (Sustainable Deve­lo­p­ment Goals, SDG). La fonda­tion souti­ent en outre un parle­ment de l’alimentation initié par des jeunes: ces derniers veulent débattre de nouveaux concepts d’alimentation dura­ble. Biovi­sion orga­nise en paral­lèle l’exposition itin­é­rante «CLEVER – mini-superm­ar­ché». Cette expo­si­tion inter­ac­tive permet d’évaluer direc­te­ment son comporte­ment d’achat indi­vi­duel et donc de sensi­bi­li­ser le public. Ce projet a trouvé un large écho auprès des jeunes. Les consé­quen­ces toujours plus visi­bles du chan­ge­ment clima­tique les préoc­cup­ent, et notre manière de produire et de consom­mer des aliments a un fort impact.

Ce mouve­ment de jardi­nage urbain, de perma­cul­ture ou de villa­ges urbains est-il surtout enra­ciné dans les villes?

MG: Aujourd’hui, les villes inclu­ent les agglo­mé­ra­ti­ons. Quand je pense à Pro Specie Rara, par exemple, je peux dire que l’année dernière, les jeunes plants leur ont été arra­chés des mains (certai­ne­ment en partie en raison de la crise du coro­na­vi­rus). Les marchés de jeunes plants et de semen­ces connais­sent un essor incroya­ble. Les gens veulent faire leur jardin eux-mêmes, faire pous­ser leurs légu­mes, en ville comme à la campa­gne. Ce qui est parti­cu­liè­re­ment réjouis­sant, c’est que les varié­tés loca­les anci­en­nes sont de plus en plus deman­dées, ce qui encou­rage la biodi­ver­sité. Les gens sont sûre­ment davan­tage sensi­bi­li­sés aujourd’hui. Il est frap­pant de constater que nombre de jeunes et de jeunes famil­les sont inté­res­sés. Mais le mouve­ment bio s’est déve­lo­ppé lui aussi: de jeunes agri­cultri­ces et agri­cul­teurs qui agis­sent de manière dura­ble et qui font preuve d’innovation pren­nent la relève. La prochaine géné­ra­tion est prête. 

Photo: Kostas Maros

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