Engagé pour le bien commun. «Évidemment, les fondations doivent gérer l’argent avec vigilance et professionnalisme», déclare Tizian Fritz. «Toutefois, cela implique plus que de simples paramètres financiers. Il n’est ni justifiable ni raisonnable – surtout compte tenu de l’exonération fiscale, qui correspond à un rendement supplémentaire des investissements – de ne pas tenir compte de l’objectif de la fondation dans les stratégies d’investissement», dit-il. Tizian Fritz a co-publié une nouvelle étude sur la question des conséquences des activités d’investissement qui correspondent à l’objectif de la fondation, intitulée «Beyond Socially Responsible Investing: Effects of Mission-Driven Portfolio Selection». Le SwissFoundation Code est du même avis: «La gestion des actifs doit soutenir l’objectif de la fondation ou ne doit pas aller à son encontre, de quelque manière que ce soit.» Ce Code est un guide pour les fondations donatrices. Il se concentre sur la fondation dans son ensemble, y compris les investissements. «En particulier lorsqu’elle gère ses actifs, une fondation d’utilité publique doit être consciente qu’elle ne doit accepter aucun effet néfaste sur la communauté dans l’ensemble de ses activités. Au contraire, elle doit examiner quels sont les investissements qu’elle peut utiliser pour générer des effets durables, augmentant ainsi son impact global.» Des études du Center for Philanthropy Studies (CEPS) ont montré qu’environ la moitié des organisations interrogées incluaient leur objectif dans leur gestion d’actifs.
Investir judicieusement
Michael Spalding, Head of Client Relations et membre de la direction d’Ethos, estime lui aussi qu’une stratégie d’investissement doit être adaptée à l’objectif de la fondation. Les fondations encouragent les activités d’investissement durable qui préservent à long terme les intérêts de la société dans son ensemble. La plupart des actifs sous gestion proviennent de fonds de pension, et seulement quelques-uns de fondations. «La question se pose de savoir si les fondations doivent simplement se contenter d’investir leurs actifs ou si elles doivent en plus les investir de manière judicieuse. Le cas échéant, que signifie investir judicieusement?» s’interroge-t-il. Même si chaque investisseur devrait se poser cette question, Michael Spalding reconnaît que les fondations ont une responsabilité particulière en la matière. Le conseil de fondation doit se saisir de la question et discuter fondamentalement de diverses questions stratégiques. Que veut-il obtenir avec les fonds investis à part un rendement et que peut-il éviter? Pour Michael Spalding, la question que tout conseil de fondation devrait se poser est la suivante: «Est-ce que je veux avoir une influence positive sur l’environnement économique dans lequel j’investis? Est-ce que je veux exercer mes droits et mes possibilités en tant qu’investisseur actif et responsable par le biais des droits de vote et de l’engagement?
Avoir un impact
Si une fondation veut produire un impact avec ses investissements, on parle alors d’investissement à impact social ou impact investment. Outre des rendements positifs, cette activité d’investissement vise à avoir un impact positif sur l’environnement et la société. Les investissements directs apportent une contribution quantifiable à la réalisation de l’objectif de la fondation. Cela se fait généralement au moyen d’instruments financiers non cotés. Cela signifie que les investissements sont réalisés dans des entreprises et des institutions qui ne sont pas cotées en bourse. L’impact investment se situe donc entre les investissements traditionnels axés sur le rendement et les dons philanthropiques. Cette stratégie d’investissement est particulièrement adaptée aux fondations. L’approche du mission investing va encore plus loin que l’impact investing. «L’idée de la mission d’investissement est d’utiliser l’objectif même de la fondation comme ligne directrice centrale pour évaluer les risques et les rendements de l’investissement financier, également en termes qualitatifs», explique Tizian Fritz. Les fondations peuvent ainsi mettre en œuvre leurs objectifs plus efficacement. Deux facteurs permettent d’atteindre cet objectif. d’une part, en excluant certains titres, la fondation peut prévenir les conflits d’objectifs et s’assurer que ses activités d’investissement ne financent pas quelque chose qui met en péril l’objectif de la fondation. D’autre part, elle peut renforcer son impact avec des critères de sélection positifs. Elle peut investir directement dans des entreprises ou des projets qui sont compatibles avec son objectif. De cette façon, elle obtient un impact quantifiable. Ce deuxième facteur ne doit pas être appliqué à l’ensemble du portefeuille. À ce sujet, Tizian Fritz déclare: «Dans la mesure où l’objectif de la fondation sert de ligne directrice pour structurer le processus d’investissement, on peut alors également parler de mission investing si une partie seulement des investissements est investie conformément à cet objectif.»
Une stratégie d’investissement cohérente
Une stratégie d’investissement fondée sur l’objectif de la fondation peut avoir un effet négatif sur le rendement. L’étude de Tizian Fritz et de Georg von Schnurbein montre par exemple que les fondations qui investissent dans le secteur social et des soins de santé ou dans la protection de l’environnement ont eu un rendement financier plus faible dans le passé. Cependant, Tizian Fritz souligne qu’une évaluation limitée à cet aspect n’est pas suffisante. «La performance des investissements financiers dans le contexte des organisations d’utilité publique ne devrait pas et ne peut pas être évaluée uniquement sur la base de leur rendement financier. Ne pas tenir compte de l’objectif de l’organisation lors de l’évaluation des performances et des risques d’investissement n’est pas raisonnable ou justifié d’un point de vue économique.» Il suggère que le fait de laisser certaines entreprises en dehors des investissements réduit les risques matériels. Les investissements dans une entreprise qui va à l’encontre de l’objectif de la fondation entraînent des risques considérables pour la réputation de cette dernière, ce qui, en cas de perte de confiance, peut entraîner un manque de revenus résultant d’une diminution de dons ou de contrats publics. Dans l’ensemble, les aspects positifs l’emportent sur les aspects négatifs. Les fondations qui tiennent compte de leur objectif dans leur stratégie d’investissement peuvent démontrer qu’elles s’acquittent de leur mission plus efficacement. Tizian Fritz. «Cette sélection permet non seulement de réduire les conflits d’objectifs propres à la fondation, mais aussi de rendre le portefeuille plus durable sur la base des trois indicateurs standards liés à l’environnement, au social et à la gouvernance d’entreprise.»
La Fondation Velux se concentre sur l’investissement à impact social. Elle gère près de 220 millions de francs et investit 10 pour cent de ses actifs dans des investissements liés au climat. En outre, elle a l’intention de retirer progressivement tous ses investissements liés aux combustibles fossiles d’ici 2023. Elle exclut également les liens avec les armes et le tabac. «Pour les investissements en bourse, nous effectuons un screening ESG», explique Lukas von Orelli. ESG est l’abréviation de «Environmental, Social and Governance» (environnement, social et gouvernance). «Dans le cas du capital-investissement, c’est-à-dire des investissements en dehors de la bourse, la règle ESG est une condition à remplir pour investir.» Lukas von Orelli est directeur de la fondation Velux et président de SwissFoundations, l’organisation faîtière des fondations d’utilité publique. Cette dernière vient de publier le Rapport benchmark 2019, qui consacre sa thématique principale à la gouvernance. «Les fondations qui ont pris part à notre enquête sont bien positionnées en termes de gouvernance», déclare Lukas von Orelli, président de SwissFoundation. Selon l’évaluation des résultats, la transparence et l’introduction de réglementations en matière d’investissement sont des aspects qui peuvent être améliorés.
Répartition des investissements
Le Rapport benchmark fournit des informations et des chiffres sur la gestion des actifs des fondations d’utilité publique. Le portefeuille moyen de fondations donatrices, comme le montre le rapport 2019, se compose d’environ 40 pour cent d’actions. Cette valeur fluctue peu. D’après Lukas von Orelli, «Au cours de ce dernières années, il a grimpé jusqu’à 46 pour cent». Le rapport couvre 34 fondations suisses donatrices de tailles diverses, pour une fortune totale de 12,7 milliards de francs. La proportion de liquidités et d’obligations est un peu plus faible que celle des actions. Les fondations investissent les quelque 20 pour cent restants dans l’immobilier et les investissements alternatifs tels que les matières premières ou les fonds spéculatifs. Les petites fondations ont la plus forte proportion d’obligations et de liquidités et la plus faible proportion d’actions. Les fondations de taille moyenne ont investi près de la moitié de leurs actifs dans des actions. Par rapport aux fonds de pension, les fondations donatrices participantes présentent une proportion légèrement plus élevée d’actions et de placements alternatifs. Bien que cela augmente les perspectives d’un meilleur rendement, cela augmente également le risque. Face notamment aux faibles taux d’intérêt, les investisseurs doivent réfléchir à la manière dont les rendements peuvent encore être atteints. La fondation Velux s’est penchée sur la question et a adapté sa stratégie d’investissement. «Nous avons effectivement pris plus de risques», explique Lukas von Orelli. Mais la fondation développe aussi systématiquement les investissements illiquides (capital-investissement, immobilier, dette privée, infrastructures et bois).
Des taux d’intérêt négatifs
Le contexte de taux d’intérêt négatifs rend difficile l’obtention de rendements. Cependant, cette situation ne semble guère poser de problèmes aux fondations. L’Autorité fédérale de surveillance des fondations (ASF) affirme qu’elle n’a pas constaté jusqu’à présent d’augmentation du nombre de fondations qui auraient été en difficulté en raison de la situation des marchés financiers. Néanmoins, cela peut constituer un enjeu de taille pour une fondation qui ne peut travailler qu’avec le retour sur investissement pour atteindre son objectif. Au lieu de poursuivre une stratégie d’investissement plus risquée, dans une telle situation, l’ASF recommande que le conseil de la fondation demande plutôt une modification des statuts afin de pouvoir également travailler avec le patrimoine. «L’ASF considère que c’est une meilleure façon de procéder plutôt que d’opter pour une stratégie d’investissement risquée», déclare un porte-parole de l’ASF, ajoutant: «Le conseil de fondation ne peut mettre en danger les biens de la fondation par négligence. En cas de dépassement du pouvoir discrétionnaire, il est responsable des pertes.» Dans le passé, l’ASF conseillait aux fondations de suivre les critères de référence appliqués aux fonds de pension. Aujourd’hui, elle ne réitère plus cette recommandation. Les fondations sont libres de choisir comment elles veulent investir leur argent. Toutefois, le conseil de fondation est responsable des actifs de la fondation et donc aussi des risques liés à la stratégie d’investissement.
Les petites fondations
85 pour cent des fondations en Suisse ont un capital inférieur à cinq millions de francs suisses. Si une petite fondation ne travaille qu’avec le rendement de ses actifs, ses possibilités financières sont proportionnellement modestes. En raison de ces faibles montants, elles recherchent des formes de coopération. Dans ce cas, les fondations faîtières peuvent être une option. Elles offrent des plateformes actives permettant aux fondateurs de créer des sous-fondations avec leur propre objectif d’utilité publique. «Les philanthropes optent pour une sous-fondation lorsque la création d’une fondation est trop conséquente pour eux et un don, pas assez», explique François Geinoz. Le président de proFonds est aussi le directeur de la fondation Limmat depuis 1990. Lors de sa création en 1972, tous les éléments essentiels d’une fondation faîtière étaient déjà fixés dans les statuts. Au fil des ans, les avantages de cette structure sont devenus évidents. François Geinoz: «À mon avis, on créé trop de fondations, pratiquement une par jour. Dans de nombreux cas, une co-affectation ou un fonds dédié serait la meilleure option, plus efficace et moins coûteuse.» Les fondations faîtières offrent également des avantages en termes de placements. Si elles le souhaitent, différentes sous-fondations peuvent regrouper leur patrimoine dans une fondation faîtière. Cela permet non seulement de réduire les frais et les coûts, mais aussi d’accroître les possibilités et l’efficacité des investissements. Les petites sous-fondations peuvent donc également participer à des investissements auxquels elles n’auraient pas eu accès autrement. «Dans la fondation Limmat, nous proposons différents portefeuilles d’investissement, par exemple des obligations, des actions suisses, des actions à l’échelle mondiale, des biens immobiliers… et les comités des sous-fondations peuvent déterminer eux-mêmes la répartition de leurs investissements entre ces portefeuilles».
Certaines fondations faîtières ont été créées à l’initiative de banques. François Geinoz cite les fondations faîtières du Credit Suisse, mais aussi celles des banques privées Reichmuth et Lombard Odier. D’autres fondations faîtières ont été créées par certains philanthropes ou encore dans le cadre d’activités de conseil à but non lucratif. Aujourd’hui, il y en a environ 25 en Suisse. «Sur la base d’une étude portant sur dix grandes fondations faîtières, nous estimons le volume de financement par fondation faîtière à 4,5 millions de francs par an», déclare François Geinoz.
Andreas Wieser, directeur de la Berner Dachstiftung (fondation faîtière bernoise), gérée par le groupe Graffenried, voit également les avantages en termes de gestion de fortune: en gérant conjointement les actifs des sous-fondations ou des fonds, des synergies peuvent être générées dans la gestion des actifs. Les fondateurs peuvent ainsi bénéficier d’une gestion professionnelle des actifs et de coûts réduits grâce aux diverses mutualisations. Cela laisse plus d’argent pour la poursuite de leur objectif.» Le centre de compétences du groupe von Graffenried soutient la Fondation faîtière de Berne depuis sa création. Elle existe depuis 50 ans sous le nom officiel de Fontes-Stiftung. Dans le cadre du développement de la Fontes-Stiftung, elle est devenue une fondation faîtière sous la marque Berner Dachstiftung. «La fondation faîtière organise la direction professionnelle, la gestion de fortune, la comptabilité, l’audit, le reporting à l’autorité de surveillance, etc. pour toutes les sous-fondations et tous les fonds», déclare Andreas Wieser. «En outre, une exonération fiscale est possible pour les sous-fondations et les fonds si la fondation faîtière est exonérée d’impôt et si leurs objectifs respectifs concordent.»
Assumer ses responsabilités
Créée en 1957 par un entrepreneur zurichois, la fondation Ernst Göhner montre comment un conseil de fondation peut assumer ses diverses responsabilités. Depuis sa création, elle a soutenu plus de 30 000 projets philanthropiques et déboursé près de 580 millions de francs suisses. Il s’agit d’une fondation donatrice d’utilité publique. Elle soutient des projets dans les domaines de la culture, de l’environnement, des affaires sociales, de l’éducation et des sciences. Elle a un caractère aussi bien entrepreneurial que philanthropique et familial. «D’après l’acte de fondation, les actifs de la Fondation Ernst Göhner doivent être gérés selon des critères entrepreneuriaux et avec une initiative entrepreneuriale, ce qui inclut notamment le financement de sociétés associées», explique Suzanne Schenk, directrice générale adjointe de la Fondation Ernst Göhner. En plus de ces exigences, l’activité d’investissement est déterminée par des critères de durabilité. La préservation des emplois et du savoir-faire en Suisse fait partie de cette activité d’investissement dans la mesure où les investissements sont axés sur des entreprises basées en Suisse et présentant un potentiel important de création de valeur. «Dans un avenir proche, le conseil de fondation traitera également la question des investissements à impact social», déclare Suzanne Schenk. «La fondation fait une distinction fondamentale entre ses activités entrepreneuriales et ses activités d’utilité publique». Toutefois, certains projets d’utilité publique sont financés dans le cadre des activités entrepreneuriales de la fondation, tels que les projets d’infrastructure d’écoles suisses à l’étranger. Cela s’explique notamment par l’ancienne participation à la société internationale Panalpina Welttransport (Holding) AG, aujourd’hui DSV Panalpina A/S, dont les cadres et leurs familles dépendent de ces écoles pendant leurs missions professionnelles à l’étranger. La fondation soutient également divers projets dans le domaine de la promotion de la formation professionnelle duale en Suisse.
Un volume de subsides stable grâce à la diversification
Un autre aspect important est la recherche de diversification: les actifs de la fondation sont largement diversifiés. Ils sont constitués de placements en actions, de placements immobiliers et de placements financiers. Depuis que la fondation a été restructurée il y a dix ans, elle comprend également deux filiales détenues à 100 pour cent. Cette structure permet une gestion professionnelle des investissements. «En plus de ses trois conseils, la fondation a la possibilité de nommer deux administrateurs externes et indépendants ayant une expertise et un réseau adaptés à ces entreprises. Les deux filiales sont chacune présidées par l’un des membres du conseil de notre fondation», explique Suzanne Schenk. Malgré cette large diversification, les rendements peuvent fluctuer. «Toutefois, le conseil détermine le volume des subsides de telle sorte que ces fluctuations n’aient pas d’effet sur nos activités de financement à des fins d’utilité publique.»
La décision appartient au conseil de fondation
La plupart des fondations n’ont pas les possibilités de la fondation Ernst Göhner. Le conseil de fondation assume toutefois les responsabilités. Michael Spalding note qu’il n’est pas rare que les conseils de fondation considèrent les actifs de leur organisation comme un simple moyen d’atteindre les objectifs; ils ne croient pas que malgré le volume relativement faible, beaucoup peut encore être réalisé par l’investissement ou le dialogue. «Les conseils de fondation doivent être conscients que leurs investissements ont un impact et qu’ils peuvent et doivent assumer cette responsabilité», dit-il. L’expérience de 20 ans d’Ethos confirme qu’un investisseur peut avoir un impact important. «Toute fondation qui fixe des objectifs responsables pour ses investissements obtient ainsi un impact social», déclare Michael Spalding. Lorsque les investisseurs unissent leurs forces et forment un groupe qui détient plusieurs points de pourcentage du capital social d’une entreprise, on peut percevoir une influence positive. Quelle que soit la stratégie, Tizian Fritz soutient qu’avant tout, les membres de conseil des fondations restent responsables. Ce sont eux qui connaissent le mieux l’objectif et les valeurs de leur fondation. «La traduction de ce système de valeur en critères d’investissement devrait initialement se faire de façon autonome ou en concertation avec d’autres organisations ou associations similaires, mais dans tous les cas, indépendamment du gestionnaire d’investissement», dit-il. Tout au plus, l’organisation dispose d’un comité d’investissement qui possède également une expertise dans ce domaine. Toutefois, le gestionnaire d’actifs peut par la suite apporter une aide précieuse dans la mise en œuvre effective. Tizian Fritz recommande cependant de fixer les critères dans les règlements de placement. L’affectation des investissements ne dépend pas de la taille de la fondation. De précédentes études du CEPS montrent que ce n’est pas la taille, mais le degré de professionnalisation qui détermine la prise en compte de l’objectif de la fondation dans les investissements.