Un accident d’avion, un incendie dans un tunnel, une folie meurtrière: on a du mal à s’imaginer ce que le fait de vivre un tel événement nous fait ressentir. Ils se produisent, de manière soudaine et inattendue. Les personnes concernées sont mises à rude épreuve et sont complètement dépassées. Un défi de taille pour les responsables des entreprises impliquées. Ils doivent offrir leur soutien à un grand nombre de collaborateurs et de collaboratrices au moment de la crise et ils doivent eux-mêmes gérer la situation.
La fondation Carelink est spécialisée dans la gestion de ce type d’événements. Les grands événements font partie de ses missions. «Les interventions les plus fréquentes concernent toutefois des situations impliquant un groupe plus restreint de personnes, par exemple des suicides dans des entreprises, des accidents ou des agressions, des menaces ou des actes de violence», explique Carolin Wälz, sa directrice. «De tels événements bouleversent les personnes de l’entourage immédiat.»
Une situation sociale extrême
Il est difficile de prévoir ce qui se produit dans ces situations particulières et comment une personne réagira. «En cas de stress extrême, la manière dont les gens réagissent est souvent très différente de l’image qu’ils ont d’eux-mêmes», ajoute Carolin Wälz. Impuissance, désarroi, mais aussi colère et tristesse ne sont pas rares: les réactions peuvent être très variées. Carelink décharge les personnes concernées en les aidant à retrouver structure, sécurité et calme. L’objectif est de comprendre et de replacer dans leur contexte les expériences vécues. «Lorsque les personnes concernées sont en mesure de mettre des mots dessus, un ordonnancement interne se crée», affirme-t-elle. Comme Carelink est spécialisée dans ces événements, elle peut, grâce à son expérience, montrer aux entreprises et aux personnes concernées par la situation de crise comment celle-ci peut être traversée. Une telle gestion aurait aussi pu être bénéfique à la société dans son ensemble dans la situation extrême de pandémie de COVID-19. Ces dernières années, la charge mentale de larges pans de la population a été longtemps négligée.
«La pandémie a été une situation extrême pour la sociétéet a représenté, pour de nombreuses personnes, un défi au niveau de la santé psychique», explique Stéphanie Mertenat Eicher, directrice de la Fondation O2. La Fondation installée en Suisse romande est un centre de compétence en prévention, promotion de la santé et développement durable qui traite notamment de santé mentale.
Elle ajoute : «Cette période a été extrêmement compliquée pour tout le monde, mais c’est surtout chez les personnes déjà fragiliséesque la santé psychique s’est davantage dégradée.» Si une entreprise peut se préparer aux situations de crise et renforcer sa résilience en élaborant des plans d’urgence et en prévoyant une offre de prise en charge, la société doit également tirer les leçons de cette expérience. D’autant plus que la pandémie a renforcé les inégalités sanitaires et sociales existantes: «Selon les statistiques de l’Observatoire suisse de la santé (OBSAN), la pandémie a fortement impacté les jeunes qui se trouvaient déjà dans une phase de transition pouvant être complexe. Désormais, ils doivent se reconstruire et surtout retrouver du sens .»
“Le cri” d’Edvard Munch. L’expressionniste a exprimé dans son art une grande partie de ses propres déchirements intérieurs.
De nombreuses personnes touchées
«Selon le même Observatoire, une personne sur deux rencontre au moins une fois dans sa vie des problèmes psychiques (ponctuels ou à long terme) et environ 18% de la population présente un ou plusieurs troubles. Il y a donc lieu d’en parler car cela nous concerne tous et toutes et d’agir pour prévenir ces troubles», complète Stéphanie Mertenat Eicher. L’Enquête suisse sur la santé 2022 met également en évidence la détresse psychologique des jeunes, en particulier des filles. En effet, 22% des jeunes de 15 à 24 ans ressentent un stress psychique d’intensité modérée à forte; chez les jeunes femmes, ce chiffre s’élève à 29%. Enfin, 18% des filles de cet âge ont souffert d’anxiété au cours de l’année écoulée.
La parole comme remède aux maux
Aujourd’hui, « Osez en parler » est un slogan qui permet de libérer la parole. Il revient souvent dans les campagnes de promotion de la santé psychique. Stéphanie Mertenat Eicher constate actuellement une évolution positive chez les jeunes qui utilisent lesressources d’aide proposéestelles que ciao.ch.. Mais il est important de continuer à sensibiliser la population et à lutter contre la stigmatisation associée aux problèmes de santé mentale.
En effet, parler ouvertement de santé mentale, en partageant ses expériences personnelles et en sensibilisant, contribue à réduire la stigmatisation et à créer un environnement plus favorable à la santé. Muriel Langenberger, directrice de Pro Mente Sana, souligne également l’importance d’un débat public sur le sujet. Être social, l’être humain a besoin de rencontres régulières. «Durant la pandémie, les rencontres ont longtemps été limitées, ce qui a représenté un grand défi pour de nombreuses personnes.» L’insécurité et le contrôle par autrui auraient considérablement pesé sur la santé mentale.
Gestion commune des crises
La directrice de la Fondation O2. attire notre attention sur un autre point: notre santé mentale est en constante évolution « Nous pouvons parler de continuum puisque l’être humain vit des états différents selon les contextes sociétaux et selon ses prédispositions personnelles. Chacun‑e peut acquérir de nouvelles capacités à gérer des épisodes difficiles mais cela s’apprend et il faut être bien accompagné et bien conseillé pour trouver les bonnes clés ».
Cela vaut aussi pour les collaborateurs et collaboratrices en entreprise. D’après Carolin Wälz, ces derniers peuvent contribuer à renforcer la résilience des entreprises en réussissant à mettre en place la responsabilisation, la diversité ou encore la collaboration. «Il est essentiel que les entreprises parviennent à activer les ressources de leur personnel qui les aideront à faire face à la situation exceptionnelle et stressante en leur offrant un contrepoids», affirme-t-elle. Mais chaque situation montre que différents acteurs doivent prendre leurs responsabilités et que la gestion d’une crise n’est pas une prestation individuelle, souligne-t-elle encore; les équipes de soins cantonales ou les organisations d’urgence sont tout autant impliquées. Cette approche large ne s’applique toutefois pas uniquement aux crises. Là encore, il faut tenir compte de différents aspects dans la construction de la résilience. « Le renforcement de la santé mentale est une responsabilité partagée qui implique à la fois les individus et la société dans son ensemble, nous ne pouvons pas agir seul., précise Stéphanie Mertenat Eicher.» Il est donc possible dès l’enfance d’acquérir des compétences qui nous aideront plus tard à surmonter des problèmes (gestion du stress par exemple).
Edvard Munch avec ses tableaux très personnels. Il les appelait aussi ses enfants.
Une offre de soutien méconnue
Si chaque individu prend soin de sa propre santé mentale, un soutien externe reste indispensable parfois. En effet, les professionnels de la santé mentale offrent un point de vue objectif et neutre sur des problèmes de santé mentale qui peuvent être complexes. «Il est donc essentiel de reconnaître que prendre soin de sa propre santé mentale ne signifie pas nécessairement faire face à ses problèmes tout seul. Les individus peuvent bénéficier d’aide et de soutien de différents professionnels de la santé mentale afin d’améliorer leur bien-être mental. Informer la population sur les possibilités existantes ’est le rôle d’organisations comme la nôtre», insiste Stéphanie Mertenat Eicher. Muriel Langenberger abonde dans son sens. Et elle reconnaît que la volonté de parler de la santé mentale a augmenté. Depuis la pandémie, les médias aborderaient également plus souvent le sujet. Mais elle ajoute: «Cela ne veut pas dire que la maladie mentale n’est plus un tabou. Les personnes touchées peuvent encore être victimes de stigmatisation et de discrimination. Il est donc important d’informer sur la santé mentale et les différentes maladies. Plus on dispose de connaissances, plus il est facile de lutter contre les préjugés.»