Photos: Peter Kruppa

Un excé­dent de capi­tal d’épargne

Mark Dittli, rédacteur en chef de The Market, un média en ligne consacré à la finance, écrit pour The Philanthropist ses réflexions sur les marchés financiers en ce début de nouvelle décennie. Qu’est-ce qui pourrait constituer l’élément déclencheur pour inverser la tendance actuelle des taux négatifs?

Une décen­nie d’extrêmes sur les marchés finan­ciers a pris fin. Au début de l’année 2010, alors que l’économie mondiale venait d’échapper à la pire réces­sion de l’après-guerre, personne n’aurait prédit que les marchés bour­siers connaî­trai­ent un boom de plus de dix ans. Ou que les taux d’intérêt zéro et néga­tifs devi­en­drai­ent bien­tôt la norme dans de gran­des parties du monde et que des pays comme la Suisse, l’Allemagne, la France ou le Japon pour­rai­ent émettre des obli­ga­ti­ons à rende­ments néga­tifs. Il y a dix ans, les taux d’intérêt nominaux néga­tifs étai­ent encore considé­rés comme impossibles.

Mark Dittli, direc­teur géné­ral et rédac­teur en chef de «The Market»

Les prévi­si­ons sont difficiles

Tout commen­ta­teur et acteur des marchés finan­ciers devra se rappe­ler cette expé­ri­ence lorsqu’il s’agira de faire des prévi­si­ons pour la nouvelle décen­nie, encore aujourd’hui. En toute honnêteté, nous ne savons pas comment la struc­ture des prix sur les marchés va évoluer. Nous ne pouvons qu’essayer d’identifier ce qui peut être observé objec­ti­ve­ment et, à partir de là, élabo­rer des scéna­rios possi­bles pour l’avenir.

Le plus important des faits actu­el­le­ment obser­v­a­bles concerne sans aucun doute le niveau histo­ri­quement bas des taux d’intérêt. Selon toute proba­bi­lité – mais il s’agit déjà là d’une inter­pré­ta­tion – ceci est dû à un excé­dent global de capi­tal d’épargne ou à une demande globale insuf­fi­sante de capi­tal d’investissement. Ceci peut s’expliquer par l’évolution démo­gra­phi­que ou par la dimi­nu­tion de l’intensité capi­ta­lis­tique de l’économie de services.

Comme le taux d’intérêt sans risque sert à son tour de point d’ancrage central pour tous les calculs d’évaluation sur les marchés finan­ciers, le faible niveau des taux d’intérêt favo­rise la hausse constante des prix des inves­tis­se­ments plus risqués tels que les obli­ga­ti­ons d’entreprises, les actions ou l’immobilier.

La ques­tion plutôt déli­cate est désor­mais de savoir combien de temps les taux d’intérêt reste­ront aussi bas. Ce à quoi nous répon­dons honnête­ment que nous n’en savons rien. Les banques et les gesti­on­n­aires d’actifs affir­ment de plus en plus souvent que les taux d’intérêt reste­ront «dura­blem­ent bas». C’est possi­ble, mais cette décla­ra­tion ressem­ble dange­reu­se­ment aux paro­les de l’économiste améri­cain respecté Irving Fisher, qui décla­rait à la fin de l’été 1929 que le marché bour­sier améri­cain avait atteint un niveau «dura­blem­ent élevé». Quel­ques semaines plus tard surve­nait le plus grand krach de l’histoire de l’économie américaine.

Penser en scénarios

D’où l’importance de la réfle­xion dans les scéna­rios. Oui, peut-être que les taux d’intérêt reste­ront effec­ti­ve­ment à leur bas niveau actuel. Dans ce cas, les inves­tis­seurs de toutes sortes reste­ront contraints de se tour­ner vers les secteurs les plus risqués des marchés finan­ciers afin d’obtenir des rende­ments inté­res­sants. Cette situa­tion est parti­cu­liè­re­ment diffi­cile pour les insti­tu­ti­ons qui doivent préser­ver la valeur de leurs actifs tout en ayant besoin de liqui­di­tés pour finan­cer leur travail. Le point d’équilibre de ce scéna­rio est consti­tué par les actions d’entreprises de haute qualité présen­tant des bilans soli­des. Ces entre­pri­ses, qui sont aujourd’hui malheu­reu­se­ment déjà valo­ri­sées (un exemple en Suisse est Nestlé) sont de plus en plus considé­rées sur le marché comme un substi­tut aux obli­ga­ti­ons «sûres» grâce à leur rende­ment en divi­den­des d’environ trois pour cent.

Dans le même temps, il faut égale­ment envi­sa­ger le scéna­rio selon lequel les taux d’intérêt ne reste­ront pas bas sur le long terme. Bien sûr, il est peut-être diffi­cile pour le moment d’imaginer ce qui pour­rait faire monter les taux d’intérêt. Mais c’est exac­te­ment ce que doit faire un inves­tis­seur prudent: réflé­chir aux scéna­rios qui semblent impen­sables à première vue.

L’élément déclen­cheur pour une augmen­ta­tion des taux d’intérêt, que personne ou pres­que ne considère actu­el­le­ment comme possi­ble, pour­rait être une hausse surpren­ante de l’inflation, déclen­chée par exemple par une augmen­ta­tion des salai­res ou par une forte hausse du prix du pétrole. Dans ce scéna­rio, les marchés obli­ga­tai­res serai­ent les premiers touchés, en parti­cu­lier les obli­ga­ti­ons ayant une longue durée rési­du­elle (dura­tion), tandis que les actions et l’immobilier offri­rai­ent tout de même une certaine protection.

Qui sait, peut-être que dans dix ans nous repen­se­r­ons aux années 2020 en nous deman­dant comment il a été possi­ble de penser qu’à la fin de 2019, les taux d’intérêt resterai­ent encore long­temps à un niveau bas.


Mark Dittli est jour­na­liste écono­mi­que depuis 20 ans. Il a notam­ment été rédac­teur en chef de Finanz und Wirt­schaft pendant six ans. Il a travaillé comme corre­spond­ant à New York durant cinq ans. Il a écrit durant une bonne année pour le maga­zine en ligne Repu­blik. Aujourd’hui, il est direc­teur géné­ral et rédac­teur en chef de The Market. Ce nouveau média en ligne a été lancé il y a près d’un an. Il s’adresse aux inves­tis­seurs et propose des clas­se­ments, des analy­ses et des avis sur ce qui se passe sur les marchés finan­ciers. The Market est une entre­prise commune entre l’équipe fonda­trice et le groupe de média NZZ. themarket.ch

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