Le président du conseil de la Fondation Ernst Göhner, Beat Walti, considère que l’ordre libéral est garant d’un secteur varié pour les fondations. L’avocat et conseiller national PLR estime que les fonds libres des fondations complètent efficacement l’aide étatique.
Vous vous engagez dans différentes fondations. Qu’est-ce qui vous fascine dans ce secteur?
On parlerait aujourd’hui de «diversity»: ce secteur est extrêmement varié et est caractérisé par des objectifs très divers, que les fondateurs et fondatrices formulent dans le but de la fondation par conviction et en y mettant beaucoup d’engagement. Ce qui me fascine particulièrement, c’est justement leur fort investissement personnel, que l’on retrouve derrière chaque fondation.
Vous êtes président du conseil de la Fondation Ernst Göhner. Celle-ci est organisée de manière très professionnelle. L’âme du fondateur y est-elle toujours présente?
Oui, absolument. Le fondateur y est omniprésent. La Fondation Ernst Göhner couvre un large éventail d’activités. Nous sommes à la fois une fondation entrepreneuriale, philanthropique et familiale. Ces objectifs constituent une ligne directrice pour le conseil de fondation.
À quoi peut-on le voir?
À l’instar d’une société de capitaux, nous menons régulièrement des discussions portant sur la stratégie. Il est évident que nous nous basons durant ces échanges sur ce que voulait le fondateur. Notre objectif est de faire vivre son engagement dans le monde actuel. Ernst Göhner a laissé derrière lui une œuvre impressionnante. Nous sommes tenus de perpétuer cet héritage entrepreneurial. Ernst Göhner était un avant-gardiste. Il a brisé des structures et s’est en même temps engagé pour l’industrie et l’emploi en Suisse. Nous voulons suivre et entretenir ces idées. Et le même engagement est consacré au domaine philanthropique.
Comment êtes-vous arrivé dans le secteur des fondations au départ?
Mon premier contact avec le monde des fondations a eu lieu de manière assez «classique» dans le domaine de l’utilité publique.
C’est-à-dire?
Alors que j’étais conseiller cantonal à Zurich, j’ai été abordé il y a une vingtaine d’années par Züriwerk pour faire partie de leur conseil de fondation. Celle-ci se mobilise pour les personnes souffrant de handicap mental. Dans le domaine social, les organisations d’utilité publique sont généralement dépendantes des pouvoirs publics en matière de financement. En intégrant le monde politique dans leurs comités, il est plus facile pour elles de se faire entendre. Cela a été le premier «contact». Il y en a eu d’autres dans mon travail: en tant qu’avocat, j’ai été amené à créer et à conseiller des fondations.
La charge administrative ne se limite pas à la création d’une fondation. Le renforcement des exigences met-il en danger la diversité du secteur?
Oui, c’est une tendance qu’il faut surveiller attentivement. De manière générale, les attentes concernant la documentation et les dispositions réglementaires augmentent. À ce sujet, on fait relativement peu de différences entre les très petites et les très grandes fondations. Et la tendance est aux directives qui se basent sur les fondations plus complexes.
Cette réglementation est-elle judicieuse?
Si le secteur des fondations a été si prospère en Suisse durant ces dernières décennies, c’est parce qu’il a été réglementé sur un modèle libéral. Pour ne pas casser la motivation, il faut maintenir cet ordre libéral. Il permet de mettre en œuvre des idées aussi diverses que variées. C’est un droit légitime, pour celles et ceux qui mettent une partie de leur fortune privée dans une fondation, de ne pas avoir en plus à prendre en compte un déluge de directives. Juridiquement, il s’agit toujours d’un patrimoine séparé devenu définitivement indépendant, et affecté à un but spécifique. Le fondateur ou la fondatrice se sépare du capital de la fondation.
Et quel rôle revient à la surveillance des fondations?
Une surveillance appropriée, ciblée et efficace est importante dans le secteur des fondations, car il n’existe pas de contrôle par les propriétaires. Dans une société de capitaux, il y a des propriétaires qui protègent ce qu’ils possèdent et contrôlent les affaires. Ce niveau de surveillance n’existe pas dans les fondations. C’est la surveillance fédérale des fondations qui le remplace. Celle-ci peut et doit s’assurer que les fonds de la fondation ne sont pas utilisés à d’autres fins.
«Nous devons
montrer ce qui est
réalisé dans ce secteur,
tout ce qui s’y passe.»
Qu’est-ce que cela signifie pour les petites fondations?
Il existe de petites fondations qui gèrent un capital modeste. Celles-ci ont souvent un but très spécifique, des attributions de financements gérables, car limitées et de petites structures administratives. Pour ces cas-là, on est en droit de se demander à quel point la documentation sur la comptabilité doit être détaillée. Bien entendu, à la fin, on doit pouvoir s’assurer que les fonds sont utilisés correctement. Il est normal que la surveillance fédérale des fondations veuille voir les comptes annuels. Mais tout le reste, qui en fin de compte fait surtout grimper les émoluments de surveillance, doit être remis en question pour ces fondations. Des allègements administratifs seraient souhaitables pour les fondations qui ne dépassent pas certaines valeurs.
Les petites fondations sont-elles d’ailleurs vraiment nécessaires?
Absolument. Il ne s’agit pas de hausser les épaules avec indifférence et de dire: «les petites fondations n’ont qu’à s’associer». Une petite structure avec une bonne idée peut avoir un impact très utile sur le terrain. Cela ne doit pas devenir impossible à cause des conditions-cadres réglementaires. Bien sûr, il y a une taille minimale raisonnable. Et les petites fondations peuvent limiter leurs efforts en se concentrant sur un domaine de projets que maîtrise le conseil de fondation et pour lequel la fondation en tant que telle possède ou développe une expertise.
Cela ne nuit-il pas aux microprojets?
À la Fondation Ernst Göhner, nous avons pour philosophie de soutenir explicitement les petits projets. Il y a toujours la possibilité de discuter de montants de moins de 5000 francs. Nous agissons ainsi, car nous voyons dans le domaine culturel en particulier de nombreux petits projets qui génèrent une très grande dynamique. Cela est précieux. Nous voulons encourager ces projets.
Coopérez-vous également avec d’autres fondations?
Oui. D’une part, la Fondation Ernst Göhner a un rôle de pionnier. Nous avons une organisation professionnelle. Les employé∙e∙s qui contrôlent les demandes disposent d’une grande expérience. Ils peuvent évaluer les projets de manière compétente. Cette appréciation des projets peut être utile à d’autres fondations. D’autre part, nous collaborons sur une base régulière avec la fondation Gebert Rüf Stiftung pour l’encouragement des start-up et de l’innovation. Avec l’initiative «Venture Kick», nous soutenons ensemble, depuis plus de dix ans, des projets de start-up issus de l’enseignement supérieur sur plusieurs étapes. Ces start-up ont déjà créé des milliers d’emplois. Cette initiative a donc débouché sur quelque chose d’utile économiquement. Cela n’a pu être possible que parce que deux fondations ont investi significativement sur une longue durée et y ont mis les moyens nécessaires. Dans le domaine culturel, nous coopérons par exemple avec la Fondation Kiefer Hablitzel. Dans celui de la promotion des talents, nous collaborons avec la Fondation suisse d’études pour des programmes de bourses.
Quel est l’avantage d’une collaboration?
Beaucoup de fondations ont, comme souhaité par le fondateur ou la fondatrice, une action très centrée sur un sujet. De ce fait, elles disposent d’un savoir-faire très spécifique. Quand ces connaissances sont combinées – et qu’en plus la base financière est élargie –, il en résulte des coopérations très intéressantes.
L’État ne pourrait-il pas accomplir la tâche des fondations plus facilement?
La force réside dans la synergie. Si tout ce qui dans le domaine culturel – ainsi que dans le domaine social – ne présente pas d’intérêt commercial dépendait de convictions et d’initiatives privées, cela irait trop loin. Par chance ces temps-là sont derrière nous. À l’inverse, il y a des domaines dans lesquels les défis sont bien plus variés que ce qu’une loi ou une administration pourrait recenser ou prendre en compte. Il est essentiel d’avoir des fonds librement disponibles pour ces idées. Les fondations peuvent donner des impulsions importantes qui se développent ensuite en structures, dans lesquelles aussi les pouvoirs publics peuvent s’engager. Cet ajustement doit être un processus permanent. S’il existait uniquement un domaine de la culture soutenu par l’État, une haute école d’art pourrait en grande partie déterminer à elle seule la direction à prendre avec sa philosophie. En revanche, s’il existe aussi un domaine avec des fonds librement disponibles, il peut naître autre chose venant remettre en question ce qui est établi. Cela crée une plus grande dynamique et favorise le développement. En outre, les pouvoirs publics et les fondations permettent la réalisation de nombreux projets ensemble. Il s’agit moins d’intérêts opposés que d’une combinaison efficace.
Comme ces fonds sont exonérés d’impôts, on exige dans une certaine mesure plus de transparence. Le monde des fondations doit-il s’améliorer sur ce point?
Les autorités fiscales énoncent des directives claires sur les conditions qui doivent être remplies pour qu’une organisation – cela ne vaut pas uniquement pour les fondations – soit exonérée d’impôts. La liste des organisations exonérées d’impôts est publique. Cette transparence existe déjà. Mais si au nom de la transparence, l’utilisation du moindre franc doit être rendue publique, alors cela va trop loin. Souvent, ce n’est pas non plus dans l’intérêt du bénéficiaire. Les fondations sont actives aussi dans des domaines où il y a besoin de discrétion. Cela dit, les fondations savent que fournir des informations pertinentes sur leur activité est souvent utile, voire nécessaire à la réalisation de leur objectif.
Les fondations pourraient-elles aller contre cette exigence de transparence?
La communication sera plus importante à l’avenir. Le secteur des fondations doit expliquer son fonctionnement et montrer qu’il n’est pas une boîte noire. Souvent, le secteur des fondations attire l’attention du public uniquement quand un don est sujet à controverse, et ensuite, il ne ressort rien de ces débats. Nous devons montrer ce qui est réalisé dans ce secteur, tout ce qui s’y passe. La communication sera essentielle pour que le monde des fondations se porte bien.