La numérisation façonne le paysage médiatique, le met au défi et à certains égards, l’a même décomposé. Elle modifie la manière de travailler des journalistes et introduit une multitude de nouvelles offres concurrentes dans le monde de l’information. Néanmoins, elle a surtout renversé les modèles de financement qui avaient fait leurs preuves, ainsi que de nombreux magazines, journaux et le secteur lié de l’imprimerie (cf. p. 38). Cependant, il existe encore aujourd’hui des entreprises médiatiques qui sont très rentables, même si elles n’investissent plus dans le journalisme. La véritable question est donc: qui devra payer le journalisme à l’avenir? Et pourquoi?
Composante de l’ordre démocratique
Pourquoi? Le journalisme est le quatrième pouvoir de l’État. Il est essentiel pour la démocratie. Les journalistes informent sur des votes et des élections: ils et elles couvrent, enquêtent et créent une base d’information commune pour la formation d’opinions. Cela repose sur le postulat que la population souhaite être une société démocratique. Toutefois, cela est remis en question aujourd’hui: les élections aux États-Unis et l’évolution de la situation dans de nombreux pays européens voisins montrent qu’une compréhension commune n’est plus une évidence. Les courants populistes de droite remettent en question les structures démocratiques culturellement développées. Les pouvoirs de renforcement de la démocratie ne peuvent pas se contenter de montrer ce dont a besoin une démocratie fonctionnelle. En tant que quatrième pouvoir, le journalisme doit expliquer pourquoi elle est la bonne forme d’État pour notre société. Il s’agit là d’un défi. Cela ne peut fonctionner que dans la mesure où il existe une diversité médiatique. La numérisation, les réseaux sociaux et l’IA proposent de nouvelles possibilités pour offrir des bases solides à la couverture journalistique standard. Ces éléments sont des possibilités économiques, notamment pour les rapports régionaux et locaux. Ils constituent une alternative à une offre médiatique uniforme dans un paysage médiatique caractérisé par la concentration. Nous avons besoin d’entreprises innovantes et engagées dans le domaine des médias, telles que we.publish et Polaris. Cependant, ces modèles aussi ont un prix.
Le prix de la qualité
Vouloir la diversité des médias et un journalisme indépendant implique une disposition à payer pour cela. Il s’agit notamment des éditeurs et éditrices qui réalisent des bénéfices avec les plateformes, ainsi que des consommateurs et consommatrices. Le montant de la contribution de l’État fait actuellement l’objet de discussions politiques. Si l’on part du principe que la démocratie fonctionne grâce à un quatrième pouvoir, ce dernier est tenu de le faire. Certains cantons sont de cet avis. Les entreprises, les PME et les OBNL doivent se demander où et comment elles souhaitent être présentes. Toutes ont besoin d’un journalisme ordonné et fiable.
Des champs d’action s’ouvrent également à la philanthropie. Les personnes qui s’engagent dans un but d’utilité publique devraient envisager l’aide financière de manière globale. Cela ne vaut pas seulement pour les projets qui visent concrètement à renforcer la démocratie. La question s’applique également à d’autres domaines d’aide, tels que la culture et la recherche. Leur pertinence sociale dépend également de la réception. Tant que ce n’est pas publié dans le journal, rien ne se passe Le théâtre, les expositions ou les résultats de recherches révolutionnaires ne déploient tout leur impact sur la société que par la couverture journalistique. C’est là qu’intervient la philanthropie.
L’engagement des fondations
Les fondations sont conscientes de cette mission. Quelques-unes sont déjà actives dans la promotion des médias. Cette année, le Media Forward Fund a été lancé avec un volume de financement considérable s’élevant à neuf millions de francs. Les auteurs et autrices de l’initiative souhaitent rassembler encore plus de fonds. L’alliance de soutien a pour objectif de promouvoir un journalisme d’intérêt général et des formats qui fonctionnent dès la phase de croissance. Les fondations peuvent faire vivre les médias: c’est le cas de la Fondation Aventinus qui, en 2021, a repris le média Le Temps de Ringier Axel Springer Suisse en Suisse romande. Elles peuvent aussi soutenir des projets individuels. À Colombier, la Fondation Liliane, Rosalie et Robert Jordi pour le journalisme attribue des bourses pour des travaux de recherche approfondis. De même, d’autres fonds encouragent de manière ciblée des reportages individuels, comme le JournaFONDS. En collaboration avec la Fondation Leenaards, la fondation Gebert Rüf a lancé à l’automne dernier le fonds d’innovation pour le journalisme multimédia. En tant que pilier du programme Scientainment, l’initiative vise à ancrer davantage les formats multimédias dans le journalisme suisse. Le fonds est doté d’un demi-million de francs.
Focalisation sur les compétences médiatiques
Pour reconnaître la valeur du journalisme, nous avons besoin de compétences en la matière. Dans le cadre du programme Scientainment, la fondation Gebert Rüf soutient le projet PUMAS. Ce dernier propose aux écoles des journées ou des semaines dédiées aux médias. Elles permettent aux élèves de développer leurs compétences médiatiques dans un monde où une multitude de canaux présentent les fausses informations de manière aussi attrayante que les faits vérifiés. Comme ces canaux sont accessibles facilement et gratuitement, les compétences médiatiques des jeunes citoyens et citoyennes sont mises à l’épreuve. Cependant, appeler les fausses informations par leur nom ne suffit pas. Il s’agit aussi de reconnaître la valeur des faits soigneusement vérifiés. Le journalisme ne fonctionne pas sans un lectorat, un auditorat ou un public intéressé. En fin de compte, ce sont les consommateurs et consommatrices que l’on sollicite.