Fotos: Florian Klauer auf Unsplash

La frac­ture des données

Besoin élevé

En matière de matu­rité numé­ri­que et d’utilisation des données, des dispa­ri­tés importan­tes exis­tent entre les régions, les secteurs et à l’intérieur même de ces derniers. Les causes sont comple­xes. Le fait d’adopter la bonne appro­che peut toute­fois avoir des effets sur une vaste zone.

«L’un des problè­mes est l’écart existant entre les orga­ni­sa­ti­ons au degré de matu­rité élevé et celles qui en sont encore au début – et le fait que cet écart se creuse», expli­que Sarah Hermes en citant une conclu­sion tirée du rapport dédié au numé­ri­que publié en 2020. Elle est responsable infor­ma­tique pour les orga­ni­sa­ti­ons à but non lucra­tif à Haus des Stif­tens à Munich. Cette entre­prise sociale qui a publié le rapport a été créée par la fonda­tion d’utilité publi­que Brochier. En 2020, elle a analysé l’état de la numé­ri­sa­tion dans le secteur terti­aire en Alle­ma­gne et montré que certai­nes orga­ni­sa­ti­ons étai­ent très avancées.

 Les données indi­quent égale­ment que de nombreu­ses orga­ni­sa­ti­ons en sont encore au début, notam­ment dans les zones rura­les où l’infrastructure est peu déve­lo­p­pée. «Elles ne devrai­ent pas être à la traîne», rappelle Sarah Hermes. 

Le degré de matu­rité numérique

Les faibles moyens finan­ciers sont un problème majeur dans le secteur des orga­nis­mes sans but lucra­tif (OSBL). Cela est parti­cu­liè­re­ment visi­ble dans le secteur infor­ma­tique. Les coûts élevés des presta­ti­ons infor­ma­ti­ques ne font qu’accentuer le problème. «Pour les OSBL, le fait de ne pouvoir utili­ser qu’une partie limi­tée de leurs moyens finan­ciers pour couvrir les frais admi­nis­tra­tifs et d’infrastructure compli­que les choses», déclare Sarah Hermes. Cela entrave le finance­ment de projets infor­ma­ti­ques. Cepen­dant, l’enquête montre que les inves­tis­se­ments infor­ma­ti­ques à eux seuls ne suffi­sent pas. «L’accès aux ressour­ces dépend égale­ment du degré de matu­rité numé­ri­que de l’organisation, affirme-t-elle. Plus celui-ci est élevé, plus l’organisme a accès aux ressour­ces néces­saires et plus celles-ci peuvent être utili­sées effi­ca­ce­ment.» Le rapport le confirme en chif­fres: un tiers des OSBL manque de ressour­ces et de connais­sances. En revan­che, seuls 14% d’entre eux ont suffi­sam­ment des deux. Au final, le manque de ressour­ces est plus important que le manque de connais­sances. 10% des OSBL possè­dent les connais­sances requi­ses mais pas les ressour­ces. Seul 1% d’entre eux dispose des ressour­ces mais pas des connais­sances. Par ailleurs, le rapport établit un lien entre le degré de matu­rité numé­ri­que et les compé­ten­ces géné­ra­les des OSBL. Les orga­nis­mes dotés d’une stra­té­gie basée sur des faits réali­sent leur trans­for­ma­tion numé­ri­que plus rapi­de­ment. La quête d’innovations et l’orientation vers des grou­pes d’intérêts stimu­lent aussi la numé­ri­sa­tion. Le rapport numé­ri­que met en lumière l’aspect multi­di­men­si­on­nel de cette diffi­culté ainsi que le lien entre le potentiel dispo­nible et la manière de gérer les données. La majo­rité des OSBL coll­ec­tent des données, mais la plupart ne les utili­sent pas systé­ma­ti­quement. «Cela signi­fie que, pour la grande majo­rité des orga­nis­mes, les données coll­ec­tées ne sont ni mises à dispo­si­tion ni utili­sées pour opti­mi­ser leurs offres ou véri­fier la réali­sa­tion de leur objec­tif», expli­que Sarah Hermes. La non-explo­ita­tion de ces sources de potentiels s’explique prin­ci­pa­le­ment par un manque de sensi­bi­li­sa­tion au sujet, une charge de travail importante au quoti­dien et de faibles ressources.

La frac­ture des données s’agrandit

Kriss Deigl­meier, Chief Social Impact Offi­cer chez Splunk, considère égale­ment le manque de moyens finan­ciers comme un problème majeur. Splunk, une entre­prise tech­no­lo­gi­que inter­na­tio­nale, propose une plate­forme leader de sécu­rité et d’observabilité unifiée, qui aide les orga­ni­sa­ti­ons à exploi­ter n’importe quel volume de données afin de deve­nir plus rési­li­en­tes. Elles peuvent ainsi inno­ver avec agilité et rapi­dité. Pour Kriss Deigl­meier, les orga­nis­mes à but non lucra­tif se heur­tent à un défi commun : la frac­ture des données.

Une frac­ture qui corre­spond à l’exploitation crois­sante des données pour créer de la valeur écono­mi­que par rapport à la faible utili­sa­tion des données pour résoudre les défis sociaux et envi­ron­ne­men­taux. « Oui, le manque de moyens finan­ciers consti­tue un obsta­cle de taille pour combler cette frac­ture », affirme-t-elle. Mais ce n’est pas uniquement une ques­tion d’argent. Pour trou­ver la source du problème, il faut se tour­ner vers les anci­ens modè­les de finance­ment des dona­teurs étati­ques et phil­an­thro­pi­ques. Kriss Deigl­meier cite trois éléments qui empê­chent tout progrès social et écolo­gi­que : les dona­tri­ces et dona­teurs souti­en­nent des projets et non des orga­ni­sa­ti­ons. Ils finan­cent géné­ra­le­ment des projets précis, et non les coûts d’exploitation géné­raux des orga­ni­sa­ti­ons, ce qui limite le finance­ment de leurs frais géné­raux. Cette appro­che limi­tée empê­che les orga­ni­sa­ti­ons d’augmenter l’impact de leurs données : elles ne peuvent pas inves­tir dans des struc­tures de données ou dans des talents pour­tant essentiels pour propo­ser des services effi­caces et adap­tés. C’est pour­tant dans les struc­tures et les talents que réside la solu­tion poten­ti­elle. Kriss Deigl­meier précise : « Dans une écono­mie numé­ri­que et orien­tée données, ces derniè­res sont notre prin­ci­pale source d’informations et guident nos décis­i­ons. Dans un monde qui s’appuie sur les données, elles sont crucia­les pour trou­ver des solu­ti­ons effi­caces et repro­duc­ti­bles. » En l’absence d’investissement dans les capa­ci­tés de données des orga­nis­mes, ce sont les person­nes et l’environnement qui en pâtis­sent. La frac­ture des données n’est pas due à une seule cause mais à plus­ieurs facteurs comple­xes étroi­te­ment liés.

Outre les ressour­ces finan­ciè­res, Kriss Deigl­meier menti­onne comme deuxième raison importante le fait que le secteur est très en retard en matière de déve­lo­p­pe­ment d’un écosys­tème de données solide, dont la qualité ne dépend pas uniquement des données. Selon elle, la struc­ture, les plate­for­mes et les outils d’aide aux prises de décis­ion sont tout aussi déter­mi­nants. Par exemple, lors­que des auto­ri­tés coll­ec­tent des données d’une façon qui ne permet pas de les trai­ter dans des logi­ciels exter­nes, cela empê­che de les utili­ser à des fins utiles. Kriss Deigl­meier ajoute : « Les orga­ni­sa­ti­ons doivent adop­ter des systè­mes et des modes de pensée plus ouverts afin de pouvoir mieux recu­eil­lir et utili­ser les données. Une colla­bo­ra­tion inter­sec­to­ri­elle sera toute­fois néces­saire si l’on veut supp­ri­mer cette frac­ture des données et viser des effets sociaux et envi­ron­ne­men­taux. » Elle réclame un enga­ge­ment à long terme et une colla­bo­ra­tion globale entre les entre­pri­ses, la société civile et les gouver­ne­ments. Concer­nant les effets sociaux, elle observe que la société commence à peine à se fami­lia­ri­ser avec les données et à comprendre la frac­ture des données. Selon elle, il est donc d’autant plus important d’entamer ce parcours main­ten­ant. Elle affirme : « La bonne nouvelle, c’est qu’un travail de fond essentiel a déjà été réalisé dans le secteur. Il faci­li­tera le déve­lo­p­pe­ment de cet écosys­tème et la mise en place des chan­ge­ments d’avenir qui s’imposent. Si nous voulons exploi­ter tout le potentiel des données au profit d’un monde plus juste, plus dura­ble et plus pros­père, nous devons être suffi­sam­ment coura­geux pour construire un système complet et ne pas nous satis­faire d’une ébauche. »

La maîtrise des données comme moteur du changement

Pour y parve­nir, Kriss Deigl­meier pense qu’une trans­for­ma­tion sociale plus importante est néces­saire. « Nous devons recon­naître la maîtrise des données comme une compé­tence vitale », affirme-t-elle. Selon elle, ce savoir-faire est essentiel pour que la situa­tion s’améliore. Elle le compare à la maîtrise finan­cière : il faut possé­der un mini­mum de connais­sances pour réus­sir à vivre en société. Et comme le monde est de plus en plus dirigé par les données, la maîtrise des données est indis­pensable. « Tout le monde doit être capa­ble de lire, comprendre, créer et commu­ni­quer des données, car elles sont aujourd’hui la clé pour obte­nir des infor­ma­ti­ons et déve­lo­p­per ses connais­sances », expli­que Kriss Deigl­meier. Dans les ONG, l’ensemble du person­nel en charge des program­mes, de la commu­ni­ca­tion, des finan­ces et du recru­tement doit maîtri­ser les données. « L’investissement dans ces compé­ten­ces en matière de données et dans le renforce­ment de ces connais­sances doit être une prio­rité pour les dona­teurs et les respons­ables d’ONG », précise-t-elle.

«Nous devons recon­naître les données comme une compé­tence indis­pensable à la vie.»

Kriss Deigl­meier, Chef de l’im­pact social chez Splunk

Une source de potentiel ou un inconvénient

À l’échelle inter­na­tio­nale, la frac­ture des données présente différ­ents incon­vé­ni­ents et sources de potentiel. Les pays en déve­lo­p­pe­ment sont désa­van­ta­gés pour ce qui est de combler cette frac­ture des données, car leur gouver­ne­ment et les ONG loca­les n’ont bien souvent pas les instru­ments et les ressour­ces néces­saires pour accé­der aux big data et les utili­ser. « Ils vont vrais­em­bla­blem­ent se retrou­ver encore plus à la traîne », estime Kriss Deigl­meier. Les statis­ti­ques mettent en évidence une frac­ture nette : d’après un rapport de l’International Data Corpo­ra­tion (IDC), les dépen­ses rela­ti­ves aux solu­ti­ons d’analyse et de big data ont dépassé les 215 milli­ards de dollars améri­cains en 2021. Plus de la moitié de cette somme a été dépen­sée aux États-Unis. Toute­fois, les nouvel­les évolu­ti­ons tech­no­lo­gi­ques s’accompagnent d’opportunités : « Si nous inves­tis­sons dans des pays et que nous les mettons en posi­tion d’utiliser les données pour faire face à leurs diffi­cul­tés socia­les et envi­ron­ne­men­ta­les, nous augmen­tons leurs chan­ces de réus­site », déclare Kriss Deigl­meier. Les pays pauvres peuvent rattra­per leur retard sur des pays plus riches de manière créa­tive et inno­vante. L’évolution des tech­no­lo­gies de commu­ni­ca­tion l’illustre bien. Grâce à l’introduction du télé­phone mobile, les pays en déve­lo­p­pe­ment ont été en mesure de résoudre le problème des anci­ens systè­mes néces­si­tant une infra­struc­ture onéreuse. Ils ont pu étab­lir des conne­xi­ons de manière plus effi­cace et à moindre coût dans leur pays. Cepen­dant, les pays indus­tria­li­sés doivent aider les pays moins déve­lo­p­pés dans leur démar­che. Selon Kriss Deigl­meier, il est du devoir des orga­ni­sa­ti­ons phil­an­thro­pi­ques mondia­les, des gouver­ne­ments et des entre­pri­ses de se montrer géné­reu­ses à travers leurs inves­tis­se­ments, leurs données et leurs ressour­ces favo­ri­sant l’utilisation des données. Kriss Deigl­meier affirme : « Il est essentiel que toutes les ONG aient accès aux données dont elles ont besoin pour mener à bien leurs missi­ons. Pour que cela soit possi­ble, tous les acteurs doivent appor­ter leur pierre à l’édifice. Après tout, ce qui est beau avec les données, c’est qu’elles peuvent être parta­gées. Ainsi, des pays et régions qui dispo­sent de données sur la santé peuvent, par exemple, aider des ONG loca­les qui s’occupent de grou­pes de popu­la­ti­ons iden­ti­ques ou simi­lai­res. Et ces données peuvent être utiles à bien d’autres acteurs et causes. 

Une demande en hausse

Selon Sarah Hermes, l’Allemagne est rela­ti­ve­ment bien posi­ti­onnée en matière de matu­rité numé­ri­que des ONG au niveau mondial même si, au niveau euro­péen, d’autres pays se situ­ent loin devant elle. La culture et la société sont essen­ti­el­les au déve­lo­p­pe­ment d’un pays au même titre que la couver­ture réseau et la dispo­ni­bi­lité. Sarah Hermes distin­gue plus­ieurs appro­ches pour déve­lo­p­per la numé­ri­sa­tion de ce secteur en Alle­ma­gne. Outre le soutien finan­cier, qui est déjà orga­nisé grâce à diver­ses initia­ti­ves, elle souli­gne l’accès au savoir-faire. «Chez Haus des Stif­tens, nous notons une demande en hausse des OSBL pour les diffé­ren­tes offres, notam­ment les webi­n­aires et les ateliers infor­ma­ti­ques gratuits», déclare-t-elle. Cela reflète une dispo­si­tion crois­sante à se pencher sur le sujet, que l’on retrouve égale­ment au niveau de l’utilisation des outils. Sarah Hermes recon­naît que les outils numé­ri­ques ont long­temps été considé­rés comme un moyen de simpli­fier le travail, mais que ce secteur les utilise en revan­che de plus en plus pour augmen­ter son impact: «Pendant les crises de ces derniè­res années – la pandé­mie de coro­na­vi­rus, les inon­da­ti­ons cata­stro­phi­ques en Alle­ma­gne et la guerre en Ukraine –, l’intérêt pour ce sujet a visi­blem­ent pris de l’ampleur et la néces­sité d’utiliser des outils numé­ri­ques est deve­nue plus claire.» Et elle constate «que l’utilisation de plate­for­mes en ligne pour trans­fé­rer les dons permet d’avoir un impact nette­ment plus rapide et que cette méthode est de plus en plus adop­tée par les ONG».

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

StiftungSchweiz encourage une philanthropie qui atteint plus avec moins de moyens, qui est visible et perceptible par tous, et qui apporte de la joie.

Suivez StiftungSchweiz sur